Méthode de diminution :

 

une tentative d'approches convergentes

 

 

Préambule

 

Pour commencer, j'aimerais attirer l'attention des musiciens (professeurs, élèves, amateurs de tous niveaux) sur la notion de temps. Quel est le temps de l'Homme du XVIe siècle, quel est le notre, actuellement ?

 

Le temps de l'Homme du XVIe siècle est avant tout relatif et élastique. Les journées ne sont pas les mêmes en été et en hiver, la lumière du soleil n'a pas la même durée et les activités y sont liées. Pour nous, les journées sont les mêmes en été et en hiver. Quand le soleil disparaît, nos activités se poursuivent.

 

L'Homme du XVIe siècle calcule une distance en heures ou en journées de marche. Voire en semaines. Nous calculons nos déplacements en minutes de voiture, de bus ou de tram, en heures de train, ou d'avion.

 

Au XVIe siècle, un « journal » est la surface de terre qu'un homme peut labourer en une journée. Nous calculons les surfaces en hectares.

 

Actuellement, nous calculons tout de façon absolue, par rapport à ce que des machines peuvent réaliser, par rapport à une mesure du temps commune à toute la planète. La mesure du temps n'est plus liée à ce qu'un être humain peut réaliser lui-même.

 

Les archives radiophoniques nous permettent aussi de nous rendre compte à quel point le débit de la parole s'est accéléré en quelques décennies. Dès lors, nous pouvons tenter d'imaginer le gouffre qui nous sépare du débit de la parole au XVIe siècle.

 

Ce préambule est un éloge à la « lenteur », une invitation à penser le temps autrement, avant d'aborder une polyphonie de la renaissance.

 

 

Par où commencer ?...

 

Notre grande difficulté est d'entrer dans le répertoire polyphonique de la renaissance avec nos réflexes contemporains, que ce soit du point du vue du temps ou de l'esthétique. En effet nos oreilles ont entendu des sons et des esthétiques que nos prédécesseurs du XVIe siècle n'ont jamais entendus (essayez d'en faire la liste...), et le musicien de la renaissance n'entendait que la musique de son temps, chantée et jouée « comme on la chantait et la jouait » à son époque, avec donc des codes et des habitudes non écrits sur les partitions. Pour le chanteur et le musicien d'aujourd'hui, un « avant » (la musique qui nous est parvenue écrite) et un « maintenant » (nos modes de restitution) se superposent, ce qui probablement nous amène soit à imiter nos prédécesseurs immédiats, soit à chercher une voie radicalement opposée, en réaction de ce que nous entendons, mais qui n'est peut-être pas pour autant la bonne voie...

 

 

Pour restituer le répertoire polyphonique du XVIe siècle, ne nous sont parvenues que des partitions nous délivrant des informations aussi sommaires qu'une liste de course, avec laquelle il faudrait imaginer comment réaliser la recette... Ne sont indiquées que la hauteur (là aussi, relative), et des durées des notes proportionnelles entre elles-mêmes. A quelle vitesse jouer ou chanter, ce qu'est le son, nous n'en savons rien. Sa couleur, sa souplesse, le mode d'attaque des notes, la façon de les enchainer entre elles... Mais si nous partons du principe que le mode de restitution implique une pratique de la diminution, alors nous avons là un indice précieux.

 

 

Imaginons qu'une fresque, enrichissant visuellement le choeur d'une église romane, soit entièrement déposée et placée dans un musée. Si un jour l'église est complètement détruite, il sera possible d'en retrouver la taille, grâce à la logique des proportions architecturales. Ainsi en est-il de la polyphonie à laquelle on applique le principe de la diminution : pour avoir le temps de placer dans une battue (deux battues, une en haut et une en bas, formant un tactus) une diminution de huit notes (diminution usuelle) sans que cela paraisse confus, une certaine vitesse sera nécessaire. Cela nous donne une indication sur le tactus.

 

Quelques traités (en tout, dix-neuf, entre 1535 et 1628) et divers témoignages qui nous sont parvenus nous indiquent clairement que les notes ne sont pas jouées telles quelles, mais toujours agrémentées de notes intermédiaires qui nourrissent et embellissent le discours*. Comment entrer dans cette démarche, nous qui en sommes si loin ?

 

 

Les différents modes d'approche

 

Il y a plusieurs pistes possibles, quelques que soient l'âge et le niveau des musiciens. Bien sûr il serait idéal de privilégier la transmission orale, mais ce serait long et nécessiterait une immersion quotidienne. Notre culture et nos modes d'apprentissage sont trop dépendants de la lecture pour nous en affranchir radicalement. Nous pouvons donc combiner plusieurs types d'approche : travail en groupe ou seul, avec ou sans support écrit.

 

Le matériel proposé comme support d'apprentissage est le suivant : un jeu de cartes, des exercices de diminution, une feuilles de basses obstinées, un gabarit pour écrire des diminutions sur ces basses. Je les partage avec plaisir et les envoie sur demande (par la rubrique "contact")

 

Pour le travail en groupe :

 

1- A l'oral, nous pouvons travailler en groupe en répétant des formules de diminution choisies par une personne servant de guide (dès le cycle 2).

 

2- Nous pouvons jouer des diminutions simples sur des basses obstinées simples avec support écrit (dès le cycle1) ou bien sans support écrit (fin cycle2, cycle3)

 

3- Nous pouvons utiliser le jeu de cartes sur des polyphonies (dès la fin du

cycle 1)

 

Pour le travail individuel :

 

4- Nous pouvons en autonomie « mouliner » des formules selon les exercices (fin cycle 2).

 

5- Nous pouvons écrire des diminutions plus complexes sur ces mêmes basses obstinées (fin cycle2).

 

6- Nous pouvons jouer les diminutions écrites par des musiciens du XVIe/XVIIe siècle sur le répertoire polyphonique (cycle3).

 

 

 

Toutes ces approches combinées ensemble devraient nous permettre de trouver une sorte de proximité, d'intimité avec un mode de restitution perdu. Il ne faut pas non plus oublier que la « sprezzatura », décrite par Baldassar Castiglione dans Le livre du courtisant (1528), reste la référence pendant très longtemps dans la bonne attitude à adopter en société, et très certainement aussi dans le mode de jeu musical. Un jeu qui doit sembler facile, sans effort, non démonstratif, offert avec une « négligence noble »...

 

 

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* L'ouvrage « Semplice ou passaggiato » édité par Droz, Haute école de musique de Genève, sous la direction de William Dongois, est riche en renseignements très précis et en nombreux témoignages. Je ne les cite donc pas ici.