Cet enregistrement propose d'illustrer le contexte musical dans lequel a évolué le peintre flamand Jan van Eyck, dont les oeuvres les plus connues sont par exemple le retable de l'Agneau mystique, ou le portrait des Epoux Arnolfini:

 

En ce temps-là, le duché de Bourgogne, sous Philippe le Bon (Dijon, 1396-Bruges,1467), père de Charles le Téméraire (Dijon, 1433- Nancy,1477), est bien plus puissant que le royaume de France, affaibli par la guerre de cent ans. Son souverain, Charles VII, est discrédité par un soupçon d'illégitimité, et c'est Jeanne d'Arc qui le conduira à Reims pour y être sacré, en 1429.

 

Philippe le Bon, après l'assassinat de son père Jean sans peur en 1419, (commandité par Charles VII) hérite du duché de Bourgogne. Il a 23 ans. En 1428, après deux veuvages, devant songer à sa descendance, il envoie une ambassade au Portugal pour demander l'infante Isabelle en mariage. Un rapport de l'époque confirmerait que l'ambassadeur n'était autre que le peintre Jan Van Eyck lui-même ! En janvier 1429, au château d'Aviz, il exécute deux portraits de la princesse que des courriers portent à Philippe le Bon, le 12 février, l'un par voie de mer, l'autre par voie de terre.

 

Imaginons maintenant qu'au cours de ce voyage, Jan van Eyck ait pu rencontrer John Dunstable en France, Guillaume Dufay en Italie, après avoir quitté Gilles Binchois qui se trouvait lui-même à la cour de Bourgogne. Par contre, il ne peut pas avoir rencontré Robert Morton, qui est né en 1430. Mais ce dernier nous offre une transition avec la génération suivante de cette école franco-flamande si riche et si féconde pendant les deux siècles suivants.

 

John Dunstable (~1390-1453) serait entré au service du duc de Bedford avant 1427. Il aurait voyagé avec lui quand il était régent de France (1422-1429, période pendant laquelle le dauphin, futur CharlesVII, déshérité, ne pouvait accéder au trône de France). Il travaille par la suite à la cour de la reine Jeanne de Navarre (1427-1436) et pour le duc de Gloucester.

Son épitaphe le dit "prince de la musique, mathématicien et astronome". Il est cité comme le compositeur dont l' influence fut décisive sur G. Binchois et G. Dufay par ses innovations harmoniques (introduction de la tierce comme intervalle consonant). Van Eyck aurait pu le rencontrer en passant par le royaume de Navarre, avant de franchir les Pyrénées ...

 

L'Italie n'est pas sur le chemin de l'Espagne et du Portugal, mais de retour vers la Bourgogne, il n'est pas absurde d'imaginer que Van Eyck ait pris le même itinéraire que l'un de ses portraits, par voie de mer depuis Grenade. Il pourrait y avoir rencontré Mohamed VIII, le dernier souverain des Maures d'Andalousie;les trois religions monothéistes, judaïsme, catholicisme et islam y ont cohabité pendant cinq siècles, dans un échange culturel et artistique d'une très grande richesse, avant que les Maures et les Juifs n'en soient chassés par Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille, en 1492.

 

A cette époque,Guillaume Dufay se trouve en effet en Italie. Il est membre de la chapelle papale à Rome de 1428 à 1433. Né probablement à Cambrai vers 1400, (où il mourra en 1474), il a passé une grande partie de sa vie en Italie, depuis 1420 jusqu'en 1440: Pesaro, Bologne, Rome, puis Florence, où il participe en mars 1436 à l'inauguration de la coupole de Brunelleschi, chef-d'œuvre architectural qui couronne la cathédrale Santa Maria dei Fiore. C'est pour cette occasion mémorable que fût composé le motet Nuper rosarum flores, ultime joyau de l'art isorythmique.

En rentrant à Dijon avec van Eyck, nous retrouvons Gilles Binchois, qui est membre de la chapelle ducale de Bourgogne entre 1427 et 1452. Il est né probablement à Mons vers 1400, et n'a jamais quitté les Flandres (Lilles, Soignies) en dehors de son séjour en Bourgogne. Au cours de l'année 1424 il est au service du comte de Suffolk comme soldat de l'armée anglaise ... le duché de Bourgogne, allié à l'Angleterre, est en guerre contre le royaume de France.

Le rondeau a été la forme la plus prisée de Gilles Binchois, compositeur par excellence de la « chanson bourguignonne »,caractérisée par une structure à trois voix dont le plus souvent la première est la seule à comporter des paroles. La chanson de Dunstable « O rosa bella » présente déjà cette caractéristique, et a ouvert la voie à un type de composition dont Dufay et Binchois sont devenus les représentants les plus connus.